Études sur le décor peint des nécropoles alexandrines

La tombe de Perséphone dans la nécropole de Kôm el-Chougafa

Responsables : A.-M. Guimier-Sorbets, A. Pelle, M. Seif el-Din

Dans la nécropole de Kôm el-Chougafa, deux tombes de la fin du Ier ou du début du IIe siècle portent une iconographie à la fois semblable et exceptionnelle qui a été redécouverte en plusieurs moments, le temps ayant altéré les peintures. En 1993, un changement accidentel d’hygrométrie fit apparaître les traces de ces peintures jusqu’alors inconnues. Jean-Yves Empereur fut le premier à constater ce phénomène et  crut y voir une scène grecque en dessous d’une scène pharaonique. Des clichés infra-rouge furent alors réalisés, mais n’apportèrent rien de probant. C’est de l’autre côté du spectre, vers les ultra-violets, qu’il fallut chercher. La réaction de certains pigments à ce type de source fit apparaître un plafond couvert d’oiseaux et de fleurs. La tombe voisine, malgré l’hydratation de 1993, semblait n’avoir jamais été décorée. Pourtant, sous ultra-violet, il se produisit le même miracle. Sous un plafond de volatiles se trouvait un panthéon des divinités pharaoniques et grecques. La campagne de prise de vue sous UV de 1996 laissait malgré tout des parties invisibles. Il fallut attendre 2012 et l’invention d’une méthode photographique inédite pour faire apparaître l’intégralité des scènes représentées. Les prises de vues sous UV furent retenues, puis ensuite retravaillées numériquement. La finesse des restitutions photographiques est telle qu’elle permet de percevoir les jeux de regards entre les divinités représentées.

Enlèvement de Perséphone par Hadès et leur fuite sur un char.  Montage montrant les trois phases de la méthode de travail. André Pelle, © Archives CEAlex

Dans les niches qui surmontent les deux sarcophages, les parois sont divisées en deux registres : le registre supérieur montre l’embaumement d’Osiris par Anubis, sous la protection d’Isis et Nephthys, accompagnées d’Horus et de Pharaon. Sur la paroi de droite, Osiris se dresse, encore momifié, entre deux divinités qui lui accordent l’immortalité par la renaissance dans l’au-delà. Sur la paroi de gauche, Thot tend un faucon à Isis, lui annonçant ainsi que son fils Horus règnera à la place de son père. Ainsi, le mort de la tombe, devenu lui-même un Osiris, survivra auprès de lui, tandis que la continuité sera assurée sur terre par sa descendance. 

Embaumement d’Osiris par Anubis. André Pelle, © Archives CEAlex

Sur le registre inférieur, la même croyance est racontée selon le mythe grec. À gauche, Perséphone cueille des fleurs avec les déesses Athéna, Artémis et Aphrodite accompagnée d’Éros. Frappé d’une flèche du dieu de l’amour, Hadès surgit de sous la terre et enlève violemment Perséphone sur son quadrige, malgré la résistance d’Athéna et d’Artémis. Le panneau de droite représente les Enfers, gardés par Cerbère : Hermès y a conduit Perséphone ; devenue la reine, elle trône désormais avec son époux Hadès. Après la mort, à laquelle nul ne peut échapper, le défunt, sans doute initié à ses mystères, sera accueilli par Perséphone dans le royaume des bienheureux. 

Aphrodite, avec sur son épaule Éros tirant la flèche de l’amour qui va frapper Hadès. André Pelle, © Archives CEAlex

Au-dessus des sarcophages, un paon, des oiseaux et des guirlandes de pétales de fleurs figurent un paradeisos, l’au-delà heureux auquel sont promis les défunts. 

Plafond peint. André Pelle, © Archives CEAlex

Dans le monde souple des polythéismes, les pouvoirs divins peuvent s’exprimer simultanément dans divers systèmes religieux également reconnus comme efficients. C’est pour en cumuler les effets que la forte croyance en une immortalité bienheureuse a été exprimée par les deux mythes d’Osiris et de Perséphone.


Pour en savoir plus

A.-M. Guimier-Sorbets, A. Pelle, M. Seif el-Din, Resurrection in Alexandria, The Painted Graeco-Roman Tombs of Kom al-Shuqafa, Le Caire, Alexandrie, American University in Cairo Press, Centre d’Études Alexandrines, 2017. 

A.-M. Guimier Sorbets, A. Pelle, M. Seif el-Din, Renaître avec Osiris et Perséphone, Alexandrie, les tombes de Kôm el-Chougafa, Antiquités Alexandrines 1, Alexandrie, 2015. 

Photographier l’invisible, Les Métiers de l’Archéologie, vol. 15, documentaire réalisé par R. Collet et A. Pelle, 13 mn, 2012. Mettre le lien vers la video


La tombe 2 de la nécropole d’Anfouchi

Le Centre d’Études Alexandrines travaille depuis de nombreuses années sur l’une des tombes de la nécropole d’Anfouchi, située à l’ouest de l’île de Pharos. Cette tombe a depuis sa découverte au début du XXe siècle attiré l’attention de nombreux savants, mais il semblait nécessaire de la soumettre à une nouvelle étude, vu le caractère exceptionnel de son décor peint, qui présente deux états, significatifs d’un changement de pratiques funéraires. La tombe a d’abord fait l’objet de campagnes de relevés architecturaux à la fin des années 2000, effectués par J. Badr et K. Machinek, puis d’un relevé photogrammétique de l’ensemble de la tombe en 2015 et de clichés spéciaux du plafond de la chambre funéraire qui se poursuivent jusuq’à aujourd’hui dans le cadre de l’étude menée par A.-M. Guimier-Sorbets. 

Le relevé photogrammétrique et photographique

Philippe Soubias

Dans le cadre du relevé photogrammétrique, les opérations réalisées sur le terrain ont tout d’abord vu l’intervention de l’équipe de topographes du CEAlex, afin de relever les coordonnées d’un certain nombre de points topographiques répartis dans l’ensemble des pièces de la tombe. Il s’est ensuite agi de mettre en place un éclairage optimal permettant d’obtenir une visibilité satisfaisante et un rendu naturel des peintures. Chaque pièce a fait l’objet d’un éclairage spécifique destiné à obtenir le meilleur rendu photographique. Un protocole de prise de vue répondant à la précision attendue tout en respectant des délais raisonnables a été ensuite mis en place. Ce compromis a donné lieu à la réalisation de près de 4000 images pour l’ensemble de la tombe, réparties comme suit : couloir : 954 photos, cours : 477, antichambre n°1 : 1303, chambre funéraire n°1 : 540, antichambre °2 : 376, chambre funéraire n°2 : 80.

Les mosaïques d’images stéréoscopiques ainsi constituées ont par la suite permis le calcul d’un modèle 3D restituant de manière extrêmement précise l’espace de la tombe, aussi bien du point de vue architectural que de celui du rendu des peintures. Le modèle ainsi obtenuoffre d’une part une visualisation particulièrement précise de l’ensemble de la tombe, mais surtout la possibilité de réaliser de nombreuses opérations de relevé a posteriori. Étant basé sur des points topographiques géoréférencés et donc parfaitement à l’échelle, il permet de réaliser sur ordinateur toutes les mesures, dessins de plans et d’élévations, ainsi que le relevé des décors, et ce avec une précision au moins aussi bonne que les relevés de terrain (chaque pixel des images représente une distance de moins d’un millimètre sur le terrain) tout en étant beaucoup plus rapide. 

D’autre part, dans le cadre de l’étude des peintures du plafond de la chambre funéraire, par A.-M. Guimier-Sorbets, nous avons réalisé des prises de vue très localisées destinées à révéler certains détails non visibles à l’oeil nu, les peintures ayant subi des altérations importantes. Nous avons ainsi effectué une nouvelle couverture photographique de l’ensemble du plafond et des photos de détails qu’il faut ensuite dépouiller et traiter pour tenter de restituer le décor des bandes du quadrillage comme des carrés et rectangles à décor figuré. 

Plusieurs méthodes ont été employées faisant intervenir différents types d’éclairages : lumière rasante, lumière ultra-violette et infra-rouge. Si les images obtenues à l’aide des lumières spéciales n’ont pas donné de résultats probants, un certain nombre de manipulations informatiques permettant de séparer et d’accentuer les éléments constitutifs des images ont permis de faire ressortir des détails des peintures, notamment celles impliquant des pigments rouges. Ces images sont  actuellement en cours de traitement et d’étude par A.-M. Guimier-Sorbets et A. Guimier. 

Les expérimentations réalisées en dehors d’Alexandrie conduisent à améliorer cette technique photographique d’analyse sans contact, qui permet de distinguer des traces de couleurs difficiles à voir à l’œil nu, car elles sont effacées partiellement et/ou altérées sous l’action de plusieurs facteurs. Un long travail de traitement, d’analyse et de superposition de ces photographies en diverses lumières permet de progresser dans le déchiffrement des motifs des bandes du quadrillage (baldaquin), motifs très effacés qui n’avaient jamais été vus. La comparaison des restes de peinture avec les décors attestés ailleurs dans le monde antique à des périodes proches de celle de cette tombe permet de mieux comprendre ce décor à la fois très riche et très altéré depuis l’Antiquité.


Pour en savoir plus

A.-M. Guimier-Sorbets, « Vers un au-delà bienheureux. Les peintures de tombes d’Anfouchi et de Kôm-el Chougafa à Alexandrie, Comptes Rendus de l’Académie des Incriptions et Belles Lettres 2015, Fasc. 1, p. 399-413.

A.-M. Guimier-Sorbets, « Le jardin pour l’au-delà des bienheureux : représentations funéraires à Alexandrie », in A.-M. Guimier-Sorbets, P. Van Ossel (éd.), Archéologie des jardins. Analyse des espaces et méthodes d’approche, Montagnac, 2014, p. 151-160.

A.-M. Guimier-Sorbets, « D’autres croyances, d’autres pratiques funéraires : les deux états de la tombe 2 dans la nécropole d’Anfouchi à Alexandrie », Bulletin de Correspondance Hellénique 134, 2010, p. 153-175.