Les fortifications d’Alexandrie
aux époques médiévale et ottomane
Dans la ville d’Alexandrie actuelle, peu de vestiges subsistent des fortifications qui ont protégé ses habitants durant près de deux millénaires. Le monument le plus connu de l’ancien système défensif est le fort Qaitbay, édifié au XVe siècle, qui s’élève à l’entrée du port oriental. D’autres ouvrages militaires rappelant le passé militaire de la ville se trouvent dans le jardin de Shallalat : le plus éminent d’entre eux est une haute tour isolée qui marquait jadis l’angle nord-est de la double muraille médiévale. Lorsque la Municipalité arasa les courtines adjacentes au début du XXe siècle, on décida de préserver la tour pour agrémenter le jardin. Cette tour médiévale trouve son équivalent près du stade de football actuel, où la tour de l’angle sud-est de la muraille médiévale a été encastrée dans la maçonnerie de l’enceinte du stade. Enfin, une cartoucherie nommée « tabiyet Nahassin » et un énorme bastion plein appartenant aux fortifications érigées au milieu du XIXe siècle à l’avant de la muraille médiévale peuvent également être visités dans le jardin de Shallalat.
À l’ouest de la ville, le musée gréco-romain d’Alexandrie a mis au jour en 1975 un tronçon de la portion ouest de la muraille médiévale, doté d’une poterne. Non loin de ce site, sur la colline de Kôm el-Nadoura entre les deux ports, on peut visiter les vestiges d’un fortin napoléonien qui témoigne de la présence de l’armée française à la fin du XVIIIe siècle.
Ces vestiges du système défensif d’Alexandrie d’antan représentent un axe de recherche important de l’étude de l’histoire d’Alexandrie médiévale et ottomane. Depuis 1994, l’équipe du CEAlex mène des fouilles sous-marines au pied du fort Qaitbay. Les fouilles terrestres dans le fort et l’étude du bâti ont apporté des informations précieuses. En 2019, ont été effectuées des fouilles sur le tracé de la muraille médiévale devant le fort Nahassin qui est depuis 1998 le dépôt archéologique du CEAlex.
Les fortifications de la ville : muraille, forts portuaires et tours
Comme toute ville antique, Alexandrie dès sa fondation, fut munie de puissantes fortifications nécessaires pour la protéger contre les assauts des ennemis arrivant de la mer et de la terre. Mais avec la conquête arabe en 642 de notre ère et la création de la nouvelle capitale Fustat à l’intérieur du pays, le nombre d’habitants de la vieille ville portuaire se mit à baisser considérablement et les quartiers résidentiels les plus éloignés des deux ports maritimes se vidèrent petit à petit.
Au cours du IXe siècle, l’ancienne muraille antique était devenue trop large pour être défendue convenablement lors d’un siège. Sous le règne d’Ibn Touloun, on érigea une nouvelle enceinte sur un périmètre plus restreint en abandonnant les zones dépeuplées à l’est et au sud de l’ancienne ville. Cette muraille médiévale ponctuée de tours de défense a été l’objet de nombreuses restaurations aux époques suivantes. Ainsi, les Fatimides renforcèrent les portes de ville tandis que les Ayyoubides établirent l’avant-mur de la muraille et fondèrent plusieurs couvents fortifiés sur la péninsule entre les deux ports. Les Mamelouks améliorèrent les défenses du port oriental par plusieurs nouveaux forts et les Ottomans firent de même dans le port ouest. Les ingénieurs de l’armée napoléonienne établirent une multitude de forts, redoutes et batteries sur les littoraux alentours et dans la ville intra-muros. La dernière grande modernisation des fortifications d’Alexandrie eut lieu au milieu du XIXe siècle avec le bastionnement de la boucle orientale de la muraille toulounide et la construction de plusieurs forts pentagonaux sur la côte.
Toutefois, la muraille et la plupart des forts durent céder à l’expansion de la ville et furent démantelés pour la plus grande partie au début du XXe siècle.
Pour en savoir plus
Kathrin Machinek sur academia.edu
K. Machinek, « L’eau dans les fortifications », in I. Hairy (éd.), Du Nil à Alexandrie. Histoires d’eaux, catalogue d’exposition, Alexandrie, 2011, p. 590-609.
K. Machinek, « Aperçu sur les fortifications médiévales d’Alexandrie. Histoire, architecture et archéologie », in M. Eychenne, A. Zouache (éd.), La guerre dans le Proche-Orient : État de la question, lieux communs, nouvelles approches, RAPH 37, Le Caire, Damas, 2015, p. 363-394.
K. Machinek 2015 sous presse, « Evliya Celebi : ein türkischer Blick auf die mittelalterlichen Wehrbauten des Orients im 17. Jahrhundert », colloque Burg, Stadt und Kriegführung im 17. Jahrhundert, Oberfell, 06-08 novembre 2015.
K. Machinek 2018 sous presse, «Alexandria – Ottoman fortifications in a Mediterranean trading town », Colloque Fortifications of the Ottoman period in the Aegean, Mytilene, Tuesday 30th October –Wednesday 31st October.
Le fort Qaitbay : un cas d’étude
Le fort Qaitbay s’élève sur la pointe d’une langue de terre à l’entrée du port oriental d’Alexandrie. Ce site était autrefois l’emplacement du fameux Phare d’Alexandrie qui s’est écroulé en 1303 à la suite d’un violent tremblement de terre. En 1477, le sultan mamelouk el-Ashraf Qaitbay visita les lieux et y fit construire un borg, soit une haute tour carrée, en réemployant les blocs de la ruine du Phare. La tour était défendue par une enceinte que Qaitbay munit de quatre pièces d’artillerie. Le nouveau fort avait comme but principal de protéger le port et la ville contre les nombreux raids des corsaires et contre les Ottomans qui représentèrent un danger croissant depuis la prise de Constantinople en 1453.
En tant qu’ouvrage militaire indispensable à la protection de la ville, le nouveau fort fut l’objet de diverses restaurations et adaptations aux innovations balistiques durant les siècles suivants. Ainsi, les Mamelouks renforcèrent l’enceinte initiale par un avant-mur et développèrent le châtelet, les Ottomans élevèrent des plateformes d’artillerie et des logements pour les Janissaires et leurs familles. Ces unités d’habitat de civils furent démolies par les ingénieurs napoléoniens en 1798. Au milieu du XIXe siècle, le fort fut transformé en fortification bastionnée moderne avec des chambres de tir casematées et de nouvelles casernes.
Le fort vit sa fin en tant qu’ouvrage militaire en 1882 lors du bombardement des Britanniques contre les révolutionnaires menés par Orabi. Malgré son classement comme monument islamique en 1887, le fort resta en ruines pendant près de 60 ans. La tour principale fut finalement reconstruite en 1938 et l’enceinte dans les années 1950
En 1984, le Ministère des Antiquités mena d’importants travaux de restauration dans le fort qui fut ensuite ouvert au public. En 2001-2002, lors de nouveaux travaux de restauration, le CEAlex put effectuer des sondages archéologiques, des relevés architecturaux et l’étude du bâti.
Pour en savoir plus
Kathrin Machinek sur academia.edu
K. Machinek, « Sondages archéologiques au fort Qaitbay à Alexandrie », in Chr. Décobert, J.-Y. Empereur (éd.), Alexandrie médiévale 3, ÉtAlex 16, Le Caire, 2008, p. 347-367.
M. Fior, Cl. Lacher, G. Nogara, Ph. Speiser, « La forteresse du sultan Qaitbay à Alexandrie », in Chr. Décobert, J.-Y. Empereur (éd.), Alexandrie médiévale 3, ÉtAlex 16, Le Caire, 2008, p. 313-346.
K. Machinek, Le fort Qaitbay, Les petits guides d’Alexandrie, Alexandrie, 2009, édition en anglais, arabe et français.
K. Machinek, Das Fort Qaitbay in Alexandria – Baugeschichte und Architektur einer mamlukischen Hafenfestung im mittelalterlichen Stadtbefestigungssystem von Alexandria ; thèse de doctorat, soutenue à la Faculté d’Architecture de l’Université de Karlsruhe (KIT) en 2014.
K. Machinek, « Hygiene in islamischen Festungsbauten », in O. Wagener (éd.), Aborte im Mittelalter und der Frühen Neuzeit – Bauforschung, Archäologie, Kulturgeschichte, Studien zur internationalen Architektur- und Kunstgeschichte 117, Petersberg, 2014, p. 292-301.