Approche archéozoologique

Responsable : Nicolas Morand

Un bref historique des études archéozoologiques

Les études archéozoologiques menées à Alexandrie ont débuté en 2001 à l’initiative du Centre d’études alexandrines, mais elles ne se sont intensifiées qu’au cours de ces dix dernières années. La collecte systématique des vestiges fauniques, durant les fouilles archéologiques menées entre 1993 et 2009, a permis de constituer l’un des plus grands ensembles fauniques de Basse-Égypte. François Poplin est le premier archéozoologue à s’être intéressé à ce mobilier en travaillant sur l’exploitation des matières dures d’origine animale (os et ivoire) utilisées pour la fabrication d’objets. Christine Mouchène, dans le cadre de son D.E.A, a étudié pour la première fois les restes alimentaires provenant de sites d’habitat et funéraire datés de la fin de l’époque hellénistique. Ces premières études ont amorcé une dynamique de recherche sur les relations qu’entretenaient les Alexandrins avec le monde animal jusqu’ici décrites partiellement par les sources textuelles et iconographiques.

Au début des années 2010, Sébastien Lepetz et Benoît Clavel ont étudié les restes sacrificiels d’époque hellénistique trouvés sur un autel funéraire et dans les foyers adjacents dans la cour d’une tombe de la nécropole de Gabbari, la Nécropolis. Leur étude a mis en évidence le sacrifice de porcs, de coqs et de poissons lors de rites. Et, du monde des morts au monde des vivants, un projet de recherche, dans le cadre d’une thèse de doctorat, a vu le jour en 2016, et cette thèse soutenue en mai 2020 va bientôt être publiée. Elle a été centrée sur une analyse diachronique des restes fauniques – mammifères, oiseaux, coquillages, reptiles, poissons – découverts dans les niveaux d’habitats antiques et médiévaux de sept sites archéologiques localisés dans le quartier antique du Bruchéion.
Le mobilier faunique a été analysé intégralement dans le dépôt archéologique de Shallalat dans le centre-ville d’Alexandrie. Cette étude a ouvert de nombreuses perspectives de recherche sur l’une des plus grandes cités du pourtour méditerranéen.

Les enjeux de la recherche en archéozoologie à Alexandrie

L’alimentation carnée est le premier axe de ces travaux. Les questions relatives à l’approvisionnement en viande d’une cité sont centrales : quels étaient les animaux voués à la consommation ? Comment étaient-ils acheminés dans la ville et comment étaient-ils ensuite préparés ? Pour y répondre, nous analysons les déchets alimentaires trouvés par exemple dans les fosses dépotoirs. Sur la base de l’anatomie comparée, chaque os (ou dent) est observé en vue d’identifier sa nature et l’espèce animale. Ainsi, une liste de taxons permet de connaître les animaux consommés. Par ailleurs, une analyse des traces de découpe et de cuisson, visibles sur les os, permet de décrire les pratiques alimentaires. En fonction des périodes historiques et des milieux sociaux étudiés, des tendances émergent. La consommation du porc est, par exemple, très importante à l’époque hellénistique et romaine alors qu’elle est marginale à l’époque médiévale en raison des interdits alimentaires liés à la religion musulmane. Le choix des morceaux, charnus (épaules et cuisses) ou pauvres en viande (vertèbres, extrémités des membres), est également variable en fonction des cultures et des niveaux sociaux. En découle une étude sur les stratégies d’élevage mises en place pour répondre à la demande d’un centre urbain comme Alexandrie.

Par ailleurs, les Alexandrins ne consommaient pas uniquement des animaux issus de l’élevage. La chasse et la pêche sont également des stratégies de subsistance pour se nourrir. L’environnement d’Alexandrie est riche d’une grande biodiversité, où les hippopotames, les autruches, les poissons et les mollusques ont été capturés et pêchés pour être consommés. L’analyse archéozoologique permet de mesurer l’importance de ces ressources naturelles dans l’alimentation des habitants. Et par voie de conséquence, une réflexion sur l’impact de l’Homme sur l’environnement est engagée.

Les populations anciennes voyaient également les animaux comme une ressource de matières premières ; l’ivoire d’éléphant étant la plus célèbre d’entre elles. Mais, les ossements de mammifères domestiques, bœufs, dromadaires et équidés (chevaux et ânes), l’étaient également. En fonction des besoins, les artisans utilisaient des os spécifiques. Les os canons des équidés, de forme tubulaire, étaient exploités pour la confection de charnière de meubles. Les os de bovins, très épais, étaient adaptés à la fabrication d’éléments décoratifs variés, d’épingles et de bijoux. Les coquilles de mollusques étaient également exploitées pour la matière première qu’ils pouvaient fournir : la nacre. Celle de certains coquillages marins ou d’eau douce était utilisée pour la fabrication d’éléments d’incrustation. Des bivalves de grande taille comme l’huître perlière de l’Indo-Pacifique servaient parfois de récipients tandis que des petits spécimens de la mer Méditerranée – donace, huître, murex – faisaient partie des décors muraux dans les maisons à l’époque hellénistique.

Les coquillages de l'Indo-Pacifique à Alexandrie

L’exploitation des ressources animales par les Alexandrins est multiple. Les restes fauniques en sont des témoins privilégiés, et leur analyse révèle des usages parfois insoupçonnés. Des pratiques sont parfois similaires à celles observées dans les cités du monde grec tandis que d’autres sont proches des usages de l’Égypte pharaonique ; et certaines sont inédites dans le monde antique. La recherche archéozoologique va se poursuivre dans le cadre d’un postdoc soutenu par la Fondation Fyssen, car elle offre l’opportunité d’approfondir nos connaissances sur l’histoire locale, les relations culturelles et l’organisation des réseaux d’échanges du passé. Finalement, elle permet d’écrire un autre chapitre sur l’histoire d’Alexandrie.


Pour en savoir plus

S. Lepetz, B. Clavel, « A Hellenistic funerary altar and sacrificial remains in the Necropolis of Alexandria », in M.-D. Nenna, S. Huber, W. Van Andringa (éd.), Constituer la tombe, honorer les défunts en Méditerranée antique, Alexandrie, 2018, p. 117138.

N. Morand, « The exploitation of molluscs and other invertebrates in Alexandria (Egypt) from the Hellenistic period to Late Antiquity: food, usage, and trade », Anthropozoologica 55 (1), 2020, p. 1-20.

N. Morand (à paraître), Les animaux et l’histoire d’Alexandrie antique et médiévale. Étude archéozoologique d’après les fouilles du Centre d’études alexandrines (1993-2009), Études Alexandrines, 2020.